J'ai repensé à une scène que j'ai vécue une nuit d'hiver. J'ai voulu la magnifier, en faire un instant d'écriture, sans visée autobiographique. Au départ ce devait être un poème, mais la difficulté de faire coïncider ce que je voulais dire avec la forme restrictive de la poésie était trop grande. Je n'ai pas la photo pour accompagner le texte, mais chacun la visualisera à sa manière.

C'était le temps des flocons et du givre. Le brouillard, déjà, s'était levé et noyait dans une cataracte aérienne les réverbères qui perçaient l'obscurité des routes esseulées. Le temps retenait son souffle. Ville engloutie, ville assoupie, n'y a-t-il pas âme qui vive ?

Enfin elle tomba, la poudre glacée, inaudible et violente, et tandis qu'elle recouvrait l'asphalte immaculé apparut au loin la silhouette d'un jeune homme, freiné par le blizzard. Il luttait, les yeux plissés et les poings dans les manches.

C'est alors qu'il décida d'oublier un court instant, d'oublier les merdes de sa vie, de sa chienne de vie ; ce foutu quotidien et ces foutues responsabilités vaines qui lui avaient fait oublier ce que c'était de vivre – vivre pour soi et non pour la pensée du monde – toutes ces choses superflues qui inhibaient ses émotions les plus primaires et les plus essentielles, tous ces impératifs qui réprimaient son désir d'échapper parfois à la réalité, toutes ces contraintes qui lui faisaient oublier en somme qui il était.

Il se plaça sur la ligne blanche et accéléra son allure. Il ne marchait plus mais courait maintenant, au milieu de la route, vite, toujours plus vite encore, les bras tendus comme pour voler parce qu'il neigeait. Les flocons transportés par les bourrasques griffaient son visage. Et il souriait, le menton haut. Les yeux humides d'une fureur de vivre ne fixaient plus aucun point. C'était une scène outrageusement belle. En cet instant il se sentait vivant à nouveau.
// Mai 2013 //
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