Peu avant que la planète n'eût été soufflée par l'expansion de son étoile mourante, la mémoire du jeune Gaïkan fut effacée par ceux qui le prélevèrent de son ancien monde. Il en en fut retiré juste à temps. Un nouvel environnement le cernait quand ses yeux s'ouvrirent.
Depuis plusieurs jours, la température avait atteint les 50°C. Gaïkan était fortement déshydraté, pris dans une torpeur qui l'avait laissé dans la cavité ombragée d'un tronc creux. Les insectes avaient depuis longtemps abandonné le vieil arbre pour chercher la fraîcheur dans le sous-sol.
Les arcs électriques qui émanaient des arbres et des roches s'étaient intensifiés au point que l'air avait pris une odeur ionisée.
Tandis que Gaïkan s'inquiétait de plus en plus intensément, un phénomène débuta. Un formidable flash blanc apparut comme au ralenti. Il s'additionna lentement à la lumière du jour. Les bruits du vent, des insectes et des oiseaux se volatilisèrent à la même vitesse que l'ascension lumineuse. Cet événement soudain arracha Gaïkan à sa léthargie. Il crut que l'étoile était en train de s'étendre de manière fulgurante vers sa prison de planète. La chaleur pourtant n'allait pas crescendo comme la luminosité.
Ses grands yeux se posèrent sur ses mains. Elles disparaissaient dans cette lumière aveuglante qui l'encerclait.
Puis plus rien. Plus rien d'autre que le blanc, uniforme, parfait. Et un silence comme il n'en avait jamais expérimenté. Gaïkan entendait toute la machinerie de son corps fonctionner : sa langue qui gonflait quand il déglutissait, le bruit du cheminement de sa salive, les battements intenses de son cœur, la pression palpitante de son sang derrière ses tympans. Il ne voyait plus son corps. Il ne ressentait plus la présence de ses membres et de son tronc. Il n'était plus que la synthèse d'une existence, un esprit qui baignait dans une mer sphérique de lumière blanche sans repères et sans bords. L'espace en négatif, infini.
Alors qu'il avait compté vingt-huit pulsations à sa carotide — un temps qui lui parut une éternité — puisque c'était la seule sensation physique qui demeurait, la vingt-neuvième figea le peu de perception qui lui restait ainsi que son esprit. Il n'était plus.
NOIR
Oreilles non fonctionnelles. Gorge sèche. Membres courbaturés. Yeux congestionnés, clos. Un voile noir, légèrement rougeâtre, à la place de la vue. Flanc droit douloureux. Un substrat dur qui appuie sur le bassin et sur les côtes. Paupières qui se décollent. Ciel flou à gauche. Terre à droite, floue aussi. Les fins poils s'hérissent sous une légère brise qui électrochoque les tympans, les rendant actifs.
Relâchement brutal du diaphragme.
Le torse se dilate presque instantanément. C'est presque violent. Une inspiration : la première. Cela brûle l'intérieur des bronches jusqu'aux alvéoles. Les yeux se referment aussitôt, comme un étau. Un cri, déchirant, à la place de la première expiration. Des être ailés, noirs, s'envolent depuis un arbre. On voudrait rassurer celui qui vient d'hurler, le prendre dans ses bras, lui dire que ce n'est rien et que c'est cela exister pour la première fois. Accepter de se noyer dans l'air.
Les inspirations se succèdent — cri — dans une douleur insoutenable. Les poings — cri — serrent l'air inconnu. Les muscles squelettiques, bandés — cri — figent le corps dans une tétanie absolue. Les spasmes de la poitrine, contractée par la douleur, laissent échapper des sons entrecoupés moins intenses. Les hurlements deviennent sanglots. Des larmes coulent au coin des minuscules draps de chair qui couvrent les yeux. Cela heurte trop les sens. Respirer, résigné. Subir avec impuissance la douleur d'une brûlure intérieure. Les sanglots s'espacent.
Cela fait moins mal à présent. Les poings se décrispent progressivement. Les pleurs baissent en intensité, pour n'être bientôt plus que gémissements. La sensation de l'existence des poumons par l'incendie thoracique n'est plus discernable. La respiration se stabilise. Puis vient l'apaisement ; une fatigue extrême aussi. Comme ce fut épuisant de naître.