Avec Maximilien L. // 2016

J'étais loin de m'imaginer que je lui dirais au revoir, seul, aussi loin de la vie que nous avions connue elle et moi.
La scène idyllique pour des adieux ressemblerait à peu près à ceci : dans le jardin de mes parents, après que nous l'eussions placée dans le petit trou au pied du rosier, je me serais rappelé ce que j'avais dit, enfant, à mon père :
- "
C'est beau Colin pour une souris tu ne trouves pas ?
- Oui c'est vrai tu as raison. C'est très beau. Va pour Colin.
"
Mon dieu je me souviens des premiers instants, c'est d'une telle précision. C'est si palpable, si vrai. De retour à la maison, j'avais ouvert le petit carton perforé. "Bienvenue à la maison Colin. Ici tu seras heureux. Je m'occuperai bien de toi." Cette première nuit, j'avais observé mon nouveau camarade jusqu'à ce que mes paupières eussent pesé aussi lourd que la joie qui emplissait mon cœur.
Colin m'a accompagné tellement longtemps. Je me rappelle encore des soirs où je lisais avec lui sous ma couette alors que mes parents étaient déjà endormis. La lampe frontale — que m’avait offerte ma grand-mère — accrochée au front, je dévorais des livres aux histoires fabuleuses. Colin venait souvent se loger sur mon épaule, contre mon cou, parce qu’il y faisait chaud. Posté ainsi, il surplombait les pages comme pour lire avec moi. Ses vibrisses me chatouillaient la peau. Il n'était pas rare qu'il s'attarde du côté de mon oreille pour en renifler le seuil. Sous ses vibrisses aventureuses, j’étouffais un rire incontrôlable et soudain.
Je quittai mon enfance avec cette souris. À l'adolescence, elle devint ma meilleure amie, la complice de mes préoccupations et de mes exaltations.
Aujourd’hui j’ai vingt ans. J'ai essayé les études mais ça ne marche pas. Je ne trouve rien qui me convienne. Je suis dans le flou total. J'ai un job alimentaire. Un mi-temps. Je vis à deux heures de chez mes parents. Je les vois rarement. J'ai un copain depuis peu. Mon premier. J'apprends.
Dans mon appartement sous les toits d'une petite maison aménagée, j'ai repeint les poutres en bleu jade. Avant c'était vraiment vieillot et sombre. Je pends mes vêtements sur des cintres accrochés aux poutres car je n'ai pas de placard. Cela décore.
Les gens me trouvent curieux. Je m'en fous. Je ne mange presque jamais. J'aime croquer des carottes entières, crues. Je bois beaucoup, du thé surtout. Et je peins.
J'ai récemment jeté toutes mes toiles. De mon travail il ne reste que les cadres en bois que j'ai laissés cloutés aux murs. Je me souviens de chaque toile, à part pour deux cadres.
Dans le petit carré de pelouse et de gravier qui fait office de jardin, derrière la maison où je suis, j'avais aménagé un semblant de potager quand les beaux jours avaient pointé leur nez. Il n'y a pas de rosiers et ce n'est pas très grand, mais j'ai quand même pu creuser un petit trou.
À 8 ans, j'avais appelé ma souris Colin. Nous n'avons jamais compris comment elle a pu vivre aussi longtemps.
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