Ecriture d’invention rédigée en classe de seconde après la lecture d'un extrait du roman "Le dernier jour d'un condamné" de Victor Hugo, où un père écrit à sa fille de 3 ans en attendant son exécution. Il s'agissait d'écrire (sous le personnage de Marie à l'âge adulte) au président du tribunal qui a prononcé la sentence contre son père. Elle y dénonce la peine capitale.
à Monsieur le président du tribunal de la Cour d'assises de Bordeaux
à Bordeaux, le 10 septembre 1851
Monsieur,
Il y a environ une semaine j'ai reçu une lettre écrite par la main de mon propre père, mort alors que j'étais une petite fille de 3 ans. Pourriez-vous me dire pourquoi donc ne l'ai-je pas reçue bien avant ? Me l'aurait-on caché ? Ou peut-être avez-vous oublié cette "malencontreuse" affaire ? Et bien je vais vous en rappeler les faits.
Il y a une vingtaine d'années vous avez jugé un homme, condamné pour un crime dont je n'ai d'ailleurs jamais su la nature. Et cet homme que vous avez condamné à mort, c'était mon père. Oui Monsieur le président du tribunal : vous avez tué mon père, et de ce fait vous m'avez privé d'un amour irremplaçable. Comme ma pauvre mère l'a pleuré, si vous saviez ! Elle a toujours dit que c'était un homme droit, honnête et qu'il aimait sa famille comme il aimait son pays.
Mais son pays l'a trahi Monsieur. Pourquoi donc la Justice a-t-elle inventé cet effroyable principe, dont le nom fait frissonner les âmes condamnées et qu'on appelle la peine capitale ? Voyez-vous quelconque intérêt, voire même plaisir, à décapiter sauvagement un homme quel qu'il soit, quel que soit le crime qu'il ait commis ? Moi Monsieur je vous réponds : certainement pas. Aucun homme ne mérite cela. Cet acte abominable crée la misère et sème parfois la pauvreté chez les familles en deuil. Vous rendez-vous compte du malheur que vous répandez ?! J'espère que oui, car si ce n'est pas le cas je vous plains bien.
Vous devriez me plaindre vous aussi, car depuis peu je suis sans-le-sous et je ne vais pas tarder à perdre mon toit. Mon mari, dont le salaire est le seul revenu familial comme bien d'autres familles, est mineur. On m'a raconté qu'il y a eu un coup de grisou comme ils appellent cela, et que les tunnels se sont effondrés. Il n'est jamais remonté. Quant à ma mère elle est morte l'hiver dernier, terrassée par une pneumonie. J'élève maintenant seule ma petite fille, qui n'a plus de père tout comme moi.  Le destin s'est acharné sur mon père comme il s'acharne sur moi maintenant.
Sachez que seul celui qui demeure là-haut a le droit de vie ou de mort sur tout homme, et vous transgressez cette loi fondamentale. Oui Monsieur, en les tuant c'est donc vous qui décidez de leur sort : vous égalez Dieu ! Quel péché que de se croire aussi, si ce n'est plus fort que lui : bravo ! Ainsi en exécutant ces hommes vous commettez donc une faute, celle d'être coupable vous aussi de vos actes. Et je suis sûre que si Dieu venait à prendre votre place au tribunal, il n'hésiterait fort longtemps à la sentence qu'il vous réserverait ; quant à moi je ne contesterais absolument pas sa décision.
Il faut dire que la peine capitale est un bien mauvais service que vous rendez à la société. D'une part vous ne dissuaderez jamais les bandits qui sévissent dans nos rues en espérant qu'ils craignent la guillotine. D'autre part ce ne sont pas eux que vous effrayez mais le reste de la population. Les femmes et les enfants se cachent les yeux, les hommes, en dehors de ceux qui trouvent cela distrayant, reviennent très souvent bouleversés. Voulez-vous savoir ce qui les agite tant ? C'est précisément la vue immonde d'un corps à qui on a ôté la tête, et dont il ne reste plus qu'un tronc immobile, vacillant quelques secondes sur son propre poids, et qui finalement s'écroule au pied de la foule, versant entre les pavés de la place son humble sang. Puis le grand rassemblement qui s'était disposé tout autour du malheureux s'en va, dans un chuchotement d'où sortent quelques exclamations de compassion et de pitié. Voilà Monsieur le bourreau ce sentiment d'injustice qui se dégage et qui mène à ma révolte.
Vous autres, hommes de loi, jurés et avocats, avec vos perruques et vos robes, vous ne réagissez même pas aux pleurs d'hommes condamnés ! Ils ne vous ont rien fait ! Vous ne les détestez pas et pourtant vous ne regardez pas plus loin que la loi : vous ne faites rien pour changer les choses. Mon père disait vrai à votre sujet dans sa lettre d'adieu : "ces hommes dont aucun ne me hait, qui tous me plaignent et tous pourraient me sauver", telles furent les dernières pensées d'un condamné à mort : le vôtre...
Cependant aujourd'hui, après toutes les épreuves que j'ai traversées, je suis fière du nom que m'a léguée mon père, et contrairement à ce qu'il croyait, je me suis défendue pour que ce nom garde toute sa dignité.
Mais à cet instant c'est la lettre d'une jeune femme meurtrie et indignée que vous lisez. Une jeune femme vide d'espoir, d'amour et de vie. Pourtant elle compte bien persister et aller jusqu'au bout de son projet. Oui, moi, Marie, je m'engage à tout faire pour que la peine de mort disparaisse car je ne souhaite à aucune famille ce que j'ai subi toute mon enfance et ce que je subi actuellement. Je sacrifierai le peu qu'il me reste dans mon combat pour faire en sorte qu'une justice nouvelle naisse, sans douleur et sans sang. Je compte me battre et aller de l'avant sans me retourner, de peur qu'on me coupe la tête à moi aussi, pour un crime bien horrible que tous les gens commettent : aimer son prochain. Ce crime vous ne le ferez jamais Monsieur. Vous ne l'avez même pas fait il y a vingt ans.
Marie
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