Inspiration chronique typique du post-visionnage de films bouleversants : après ‘Alabama Monroe’ de Felix Van Groeningen.
La toute première image qui m'est venue, c'était une plante placée derrière une vitre tandis qu'il pleuvait au dehors. Un homme tentait en vain de s'en occuper mais elle périssait malgré ses efforts. La pluie, l'homme et la fenêtre sont restés. Tout le reste est venu au fur et à mesure que la bille du stylo appuyait sur le papier.
Un front est appuyé contre une vitre. Dehors il pleut. Le froid du verre se répand sur la peau en contact avec lui ainsi qu'autour du point de contact. Une goutte tombe sur le rebord intérieur de la fenêtre. Dans la goutte, de minuscules particules de la poussière qui se trouvait là sur le rebord se déplacent, comme dans une boule de Noël qui viendrait d'être secouée. C'est une goutte unique. C'est une goutte orpheline. Une paroi la sépare de ses cousines mais suffit à sa solitude. Il n'y a qu'elle qui existe de ce coté. C'est de l'eau salée. Ce n'est qu'une larme. Quelqu'un pleure. Il pleure. C'est une larme.
La chaleur du radiateur placé sous la fenêtre fait lentement disparaître la bille transparente juste née. La voilà, invisible, qui remonte, qui s'étale et qui se dilue dans la pièce. La pièce est une larme diffuse. Il est dans la larme qu'il a laissé tomber. Il quitte sa maison, résolu mais lent. La larme s'écoule par la porte. La maison semble pleurer la larme vaporeuse et son occupant.
Il ferme les yeux et penche la tête vers le ciel. Les sœurs de sa fille de larme frappent aléatoirement ses pommettes, ses paupières, les commissures de ses lèvres entre-ouvertes. La larme vaporeuse étreint ses soeurs sur tout leur pourtour. Elle les enlace. Elle pénètre chacune des gouttes qui viennent du ciel, et à chaque goutte qui se dépose sur lui, à chaque goutte qui se laisse glisser jusque dans sa bouche, à chaque goutte qui se laisse absorber par ses pores timides et meurtris, c'est un peu plus de la goutte originelle qui revient vers son créateur.
La sonnerie du téléphone fait encore écho. Elle émane de l'herbe sous ses pieds nus, des troncs des arbres sur le trottoir, et du goudron du trottoir, et des maisons du quartier où des familles créent des souvenirs autour d'une tasse de chocolat chaud.
C'était l'hôpital. Il pleut. L'homme au bout de la ligne s'était excusé. Ses tympans avaient étouffé le silence qui suivit en sifflant. Il pleut. Elle ne rentrera pas. Son désespoir était trop grand (sa détresse plutôt) et son geste trop bien calculé. Il pleut.
Il est seul désormais. Plus de rires de petite fille, plus de chansons sur scène avec sa femme. Plus de gencives qui saignent un beau matin. Il pleut. Plus de visites à l'hôpital. Plus de rayons, plus de chimio, plus de charlottes sur la tête et aux pieds, plus de blouse et de masque. Il pleut. Plus de cheveux qui restent dans ses doigts. Il pleut. Plus d'effroyables annonces. Il pleut. Plus de silences lourds. Plus de disputes. Plus de reproches. Plus d'amour haineux. Plus de déchirement. Il pleut.
Son visage toujours tourné vers le ciel se crispe. Son menton, ses pommettes se mettent à convulser. Sa respiration est bloquée. Son teint rougit. Les artères de son cou se dilatent et se révèlent sous la peau encore lisse. On ne voit pas de larmes couler. Elles se perdent parmi leurs cousines parachutistes qui n'ont pas pris leur parachute. La crispation s'accentue, au point que ses sourcils et ses lèvres, sur leurs extrémités, semblent tirés vers le bas par des ficelles lestées de fonte dont il ne contrôle pas l'action et l'amplitude. Il pleure sans émettre le moindre son. C'est au delà d'un simple pleure. C'est un effondrement. C'est une torture. On n'entend que la pluie tomber. Mais en silence il pleure, le visage violacé figé dans une expression de douleur insoutenable.
Une goutte tombe dans une de ses narines. Il la laisse glisser et pénétrer jusque dans ses poumons (dans un de ses poumons ; elle a dû faire un choix là où la trachée se sépare en deux bronches). Cette goutte-là ne fera plus rien germer. Elle est entrée dans un corps tari, mais elle ne le sait pas ; elle n'a décidé de rien. Elle butte sur une des dernières alvéoles, au plus près du diaphragme hoquetant. Il ouvre lentement les yeux. Il voit le rideau de pluie au dessus de lui. Ces milliers de gouttes qu'il voit foncer sur lui en grossissant. Il y en a qui tombent sur ses yeux et lui troublent la vue. Ses yeux restent ouverts.
Son visage se décontracte puis prend une expression sérieuse. Il se téléporte instantanément hors de son corps. C'est toujours lui, mais ce n'est plus QUE lui. Il y a lui, là en l'air, et lui, loin en dessous, les pieds toujours ancrés au sol. Il monte avec une célérité faramineuse vers la couche nuageuse. Les gouttes percutent son visage et ses yeux grands ouverts. Dans un bruit assourdissant, il se distend et se vaporise. Il devient la pluie.
En bas, un petit point clair avec deux point sombres plus petits encore regarde toujours vers le haut. Il chute à la vitesse des gouttes. C'est comme si toutes les gouttes étaient suspendues par cet apparent effet d'impesanteur. Il n'y a aucun son, comme si le temps s'était arrêté. Il n'y a pas de vent. Il regarde les gouttes. Elles le regardent. Elles lui font des sourires en lui disant que tout va bien se passer et finissent par un clin d’œil. Il se rapproche toujours plus du sol. Plus que quelques centaines de mètres. La rumeur de la ville perce progressivement le silence, comme si la réalité du monde revenait à ses oreilles. Il percute son lui resté au sol. Pas une fois, pas deux, mais infiniment car il tombe sans cesse en venant du haut puisqu'il est la pluie. A mesure qu'il se pleut sur lui, son lui d'en-bas disparaît de plus en plus : d'abord opaque, puis translucide ; un souvenir de lui-même qui s'estompe en un fondu régulier. Il se pleut sur son propre corps et le voit s'effacer, comme s'il s'effaçait lui-même parce qu'il n'est plus que la pluie ; la pluie qui lave ; la pluie qui s'écoule ensuite le long des trottoirs et disparaît, avec tout ce qu'elle a lavé.
Le corps a disparu, mais il continue de pleuvoir. Il tombe sur la pelouse, sur l'allée du garage, sur la balançoire. Il tombe sur le toit de la maison où ils avaient créé des souvenirs autour d'une tasse de chocolat chaud.
Certainement influencé par ma lecture en cours, Les Vagues de Virginia Woolf, que j'ai beaucoup de mal à suivre car je ne peux m'appuyer sur rien de concret. Le roman, décousu, est très abstrait. Un article qui parle de la retraduction.
// Septembre 2013 //
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